Dès la fin du mois d’août 1914, quelques jours après le début de l’invasion allemande, un Comité central de Secours et d’Alimentation fut créé, à Bruxelles, par diverses personnalités du monde industriel et financier, dans le but de venir en aide à la population de la capitale. Rapidement confronté à des demandes d’aide venues de tout le pays, ce Comité central décida de s’adjoindre des représentants des diverses provinces pour former, le 29 octobre 1914, ce qui devint le Comité national de Secours et d’Alimentation (CNSA). Des comités provinciaux furent constitués au chef-lieu de chaque province avec le concours de personnalités originaires de toutes les régions et appartenant à toutes les tendances politiques. Ces comités provinciaux, au nombre de 10 – l’agglomération bruxelloise ayant été considérée comme une province distincte – devinrent les organes d’exécution du Comité national qui ne tarda pas à étendre son action à l’ensemble du pays.
Chargé à la fois d’assurer le ravitaillement des populations civiles et de venir en aide aux nécessiteux, le CNSA s’imposa rapidement comme un acteur central de la vie économique et sociale de la Belgique occupée. Au-delà, il apparut durant toute la guerre comme un foyer de l’unité nationale, symbole du front commun que les Belges entendaient opposer à l’ennemi.
Le 1er janvier 1919, le CNSA remit la direction de ses affaires au Ministère de l’Industrie, du Travail et du Ravitaillement qui nomma des délégués à la tête des départements en charge des affaires générales, de l’alimentation, du secours et de la comptabilité. Le CNSA entra en liquidation à dater du 30 juin 1919. Cette liquidation fut menée à bien par un Office de liquidation qui ne clôtura définitivement ses travaux qu’en 1929.
Compétences et activités
Les activités du CNSA se divisaient en deux grandes missions : le ravitaillement des populations civiles, pris en charge par le Département Alimentation et la distribution d’aides aux nécessiteux, conduite par le Département Secours.
Durant toute la guerre, le Département Alimentation pourvut au ravitaillement de plusieurs millions de Belges. Dès sa création, il fut géré sur des bases essentiellement commerciales. C’est à lui que revenait la charge de revendre aux Comités provinciaux les denrées qui lui avaient été envoyées par la Commission for Relief in Belgium (CRB), d’assurer la transformation de certains produits et de fixer les conditions dans lesquelles ces vivres devaient être livrés au public. Les attributions de ce Département ne cessèrent de croître au point de devenir l’organisme commercial le plus important de Belgique occupée. De sa fondation jusqu’à la fin de ses opérations, en juin 1919, le Département Alimentation distribua plus de 4,8 millions de tonnes de marchandises pour une valeur totale de 4.175.000.000 fr.
Cette organisation reposait sur une série d’accords internationaux. Le 16 octobre 1914, le Comité central de secours avait obtenu du Gouverneur général von der Goltz l’assurance que les vivres importés soient exclusivement réservés à la population belge et, par conséquent, exemptés des réquisitions allemandes. Cet engagement fut accepté par le gouvernement britannique et permit les premières importations. Les négociations qui suivirent pour obtenir des autorités allemandes des engagements semblables pour différents types de produits (médicaments, fourrages,…) posèrent les grands principes du ravitaillement de la Belgique occupée. En fait, dès 1915, l’essentiel des polémiques qui menacèrent la survie du CNSA portèrent sur les vivres indigènes. En autorisant les importations en Belgique, le gouvernement anglais avait clairement spécifié qu’en aucun cas, les produits importés ne pouvaient remplacer les vivres indigènes saisis par l’occupant. Le 31 décembre 1914, le gouvernement allemand s’était engagé auprès de l’Ambassadeur des États-Unis à Berlin à interdire les réquisitions de vivres qui auraient dû être remplacés par la CRB. Or, peu de temps après son arrivée à Bruxelles, le Gouverneur général von Bissing tenta d’atténuer la portée de cet engagement en interprétant ces garanties de manière restrictive. S’en suivirent de nombreuses polémiques qui menacèrent l’organisation du ravitaillement et qui ne furent réglées qu’en avril 1916 avec la conclusion d’un accord visant à interdire l’exportation de toutes les matières premières belges servant à l’alimentation humaine ou à celle du bétail, à l’exception de certains produits dont les disponibilités dépassaient les besoins de le population belge.
Pour réussir, cette vaste entreprise devait impérativement être secondée par un organisme basé à l’extérieur des frontières belges. C’est le rôle que joua la Commission for Relief in Belgium. En accord avec le CNSA, le bureau bruxellois de la CRB déterminait la nature et la quantité des vivres à acheter à l’étranger ainsi que les prix auxquels ils devaient être cédés au CNSA. Ce bureau exerçait une surveillance permanente qui devait certifier que les marchandises étaient réparties équitablement et destinées à la seule population belge. Après l’entrée en guerre des États-Unis, l’essentiel des attributions administratives de la CRB fut repris par le CNSA alors que le mission de surveillance fut confiée à un Comité Hispano-néerlandais pour la protection du ravitaillement en Belgique et dans le Nord de la France (CHN). Jouant à la fois le rôle d’intermédiaires entre les belligérants et de garants des engagements pris par eux, les Ministres des États neutres en poste à Bruxelles jouèrent un rôle central dans ce subtil montage.
A l’inverse du Département Alimentation, le Département Secours fut organisé sur des bases caritatives. Durant toute la guerre, il bénéficia de trois sources de financement : le produit de souscriptions et de collectes, les bénéfices réalisés par le Département Alimentation et divers transferts de fonds dégagés par le Gouvernement belge du Havre. Décrire son action dans le détail est impossible tant elle est étendue. En effet, le Département Secours fut à l’origine d’une multitude d’initiatives visant à venir en aide à toutes les franges de la population. Que ce soit par le biais de soupes populaires, de distributions de charbon et de vêtements ou via le versement d’allocations aux chômeurs, le Département Secours fut la pièce maîtresse de l’aide aux populations civiles. Pour preuve de ce rôle central, l’État n’hésita pas à lui confier le paiement de prestations qui étaient normalement à sa charge. Ce fut le cas des allocations pour familles de soldats dont il assura le versement pour le compte de l’État. Au 31 décembre 1918, le total des secours délivrés par son intermédiaire s’élevait à la somme de 1,3 milliards de francs. Durant toute la guerre, le Département Secours fut dirigé par Emmanuel Janssen, époux de la petite-fille de Ernest Solvay et futur secrétaire général de la Société Solvay.
En 1915, le CNSA s’adjoignit une Section agricole qui s’attacha à améliorer les rendements de l’agriculture en prodiguant conseils et subventions aux cultivateurs et éleveurs belges. En outre, elle fut chargée, en accord avec le CNSA et les autorités allemandes, de répartir les aliments pour bétail et les engrais qui pouvaient être mis à leur disposition. Dès sa création, elle travailla en étroite collaboration avec les organismes en charge de la répartition des produits issus des récoltes indigènes. En effet, un arrêté du Gouverneur général du 30 juin 1915 avait frappé de saisie plusieurs types de céréales produites en Belgique. Une Commission centrale des récoltes fut créée qui reçut pour mission d’acheter, d’emmagasiner et de répartir les céréales indigènes sous le contrôle du pouvoir occupant. Cette Commission travailla en étroite collaboration avec un organe dépendant du CNSA : le Bureau central des récoltes. Ce Bureau avait pour mission de dresser les statistiques des récoltes et d’organiser les opérations d’achats en province. Au-delà, il joua un rôle déterminant dans les opérations de gardiennage, de répartition et de mouture des céréales panifiables indigènes.
Jusqu’à sa dissolution, le CNSA conserva le caractère juridique d’une institution privée sans buts lucratifs ne possédant ni statuts, ni règlements écrits. Délibérément, il refusa d’obtenir la personnification civile. Officiellement, il ne fut jamais qu’un simple groupement de fait sans reconnaissance légale. Ce caractère d’organisme privé était destiné à offrir le moins de prise possible à l’administration allemande et devait lui permettre d’échapper au contrôle que cette dernière tenta de lui imposer durant toute la guerre.
Organisation
L’assemblée du Comité national se réunit régulièrement jusqu’à l’été 1915, lors de réunions au cours desquelles furent arrêtées les directives générales et les bases de son organisation. Par la suite, le Comité ne se réunit plus que de manière épisodique sur la convocation de son président : Ernest Solvay. De fait, le CNSA délégua ses pouvoirs à un Comité exécutif dirigé par Emile Francqui à qui revint la direction effective de l’organisme. Dès lors, le secrétariat du Comité exécutif, appelé aussi » secrétariat général « , conduit par Albert Henry, directeur au Ministère de l’Agriculture, se trouva au cœur des politiques menées par le CNSA. Il avait dans ses attributions les questions communes aux deux Départements de l’Alimentation et du Secours, celles concernant la politique générale du CNSA ainsi que les relations avec les Ministres protecteurs, les gouvernements alliés, la CRB et les autorités allemandes. Il préparait les séances du Comité national et du Comité exécutif ainsi que les réunions des délégués provinciaux et en dressait les procès-verbaux. Tous les jeudis, les membres du Comité exécutif, les présidents des Comités provinciaux et leurs délégués, de même que des représentants du CNSA, de la CRB et du CHN se réunissaient à Bruxelles, au siège de la Société générale, sous la présidence d’Emile Francqui, afin de définir les grandes lignes des politiques menées par le CNSA en matière de ravitaillement et d’assistance.
Le CNSA disposait de quelques services d’appui transversaux communs aux Départements Alimentation et Secours. Il s’agissait notamment du Service des transports par automobiles et du Service de l’Inspection générale des comptabilités, en charge de la vérification de la comptabilité du CNSA et de ses sous-organismes. En outre, début 1916, le CNSA s’adjoignit les services d’un Département d’Inspection et de Contrôle qui avait pour mission d’aller inspecter les comités locaux, de s’assurer de l’exécution des instructions du Comité national et de l’application rigoureuse des règlements. En son sein, il développa un service d’enquête qui réunissait les preuves des abus constatés sur le terrain avant de les soumettre aux autorités judiciaires.
Le Département Alimentation s’articulait autour de 6 services. Le service des Affaires générales constituait, en quelque sorte, le secrétariat général du Département. Il s’occupait de toutes les affaires d’ordre général, de la rédaction des contrats, de la gestion du personnel ou de l’économat. Le service des statistiques spéciales organisait les importations de vivres et leur répartition. Le service de la comptabilité des matières et de la statistique des répartitions dressait les factures et tenait les livres de stock. Le service Stock général et Fabrications gérait les vastes magasins destinés à accueillir les produits importés en Belgique et assurait la transformation des matières premières en produits finis destinés à la consommation. Le service de la Comptabilité financière était en charge de la gestion financière du Département. Enfin, le service des transports s’occupait de toutes les questions relatives au transport de marchandises.
De l’aveu même du CNSA, il est plus difficile de donner une idée exacte des modes de travail du Département Secours. Son organisation est plus floue. Les organes d’exécution du Département Secours étaient les comités provinciaux, pour les besoins généraux de la population, et les œuvres d’assistance ou de bienfaisance créées ou patronnées par le CNSA, en ce qui concerne certaines catégories de nécessiteux. Son secrétariat général assurait la gestion administrative du Département Secours. Toutefois, les subdivisions, les missions et les attributions de cet organe connurent d’incessants changements. En plus de la gestion des différents types de secours au niveau national, il assurait la gestion administrative d’une partie du Département Secours du Comité de l’Agglomération bruxelloise ainsi que de plusieurs œuvres de bienfaisance.
Par l’entremise de sa Division Vêtements, le Département Secours assurait la direction du Vestiaire central. Celui-ci centralisait les vieux vêtements envoyés de l’étranger et les effets neufs confectionnés en Belgique. Les vieux vêtements étaient réparés ou transformés dans des ateliers de réparation pendant qu’une Commission d’achats procédait à l’acquisition des tissus et des matières premières nécessaires à la confection des vêtements neufs. Enfin, le Département Secours comportait en son sein un Service des Évacués qui fut chargé de venir en aide aux populations belges et françaises évacuées des zones proches du front sur ordre des autorités allemandes.
Le Département Secours entretenait des liens étroits avec les œuvres dont il avait assuré la création. Celles-ci disposaient d’une autonomie de gestion plus ou moins grande selon les cas. L’intitulé de plusieurs de ces » Sections Aide et Protection » suffit à définir leurs missions. Ainsi, on peut citer l’Aide et protections aux artistes, l’Aide et protection aux dentellières, l’Aide et protection aux églises sinistrées, l’Aide et protection aux étrangers, l’Aide et protection aux familles d’officiers et de sous-officiers privées de leur soutien
(1 Selon les dispositions en vigueur en 1914, les femmes d’officiers, de militaires rengagés, de gendarmes et d’agents réquisitionnés n’avaient pas droit à la rémunération de milice. En conséquence, elles ne pouvaient prétendre au bénéfice du Secours-soutien (Secours B) prodigué par le CNSA. C’est la raison pour laquelle, en février 1915, il fut décidé de créer cette Section spécialement chargée de leur venir en aide.)
, l’Aide et protection aux médecins et pharmaciens belges sinistrés, l’Aide et protection aux réfugiés ou l’Aide et protection aux sans-logis. Plusieurs d’entre elles se spécialisèrent dans l’aide à l’enfance. La section Aide et protection aux Œuvres de l’Enfance subventionnait les orphelinats ou comités de patronage ; la Commission d’alimentation de l’enfance organisait ou soutenait des crèches, colonies scolaires ou autres cantines maternelles. Quant à l’Œuvre nationale des orphelins de la guerre, elle venait en aide aux enfants ayant perdu leurs parents lors des combats. Enfin, la section Aide et Apprentissage aux invalides de la guerre visait à favoriser la réinsertion professionnelle des anciens combattants se trouvant en Belgique occupée.
Indépendamment des œuvres qu’il avait créées, le CNSA accorda son patronage et une aide financière à plusieurs organismes tels que la Société coopérative d’Avances et de Prêts instituée pour payer aux fonctionnaires de l’État en non-activité une partie de leur traitement et pour faire aux créanciers de l’État des avances sur les titres établissant leur droits ; la Ligue nationale belge contre la tuberculose qui établit des dispensaires dans tout le pays ou l’Union des Villes et Communes qui s’occupait de l’édification d’abris provisoires pour les familles dont les habitations avait été détruites. Enfin, le Département Secours subventionna plusieurs œuvres destinées à venir en aide aux prisonniers de guerre : l’Agence de renseignements pour les prisonniers de guerre et les internés, la Cantine du Soldat prisonnier ou la Caissette du Soldat belge qui organisaient l’envoi de colis à destination des Belges prisonniers en Allemagne.
La Section agricole disposait d’une grande autonomie. Présidée par Emile Tibbaut, vice-président de la Chambre des Représentants et président du Conseil supérieur de l’Agriculture, elle occupait les locaux qui abritaient le Département Alimentation au 66 de la Rue des Colonies, à Bruxelles. Dotée d’un bureau permanent et de sections locales établies auprès de chacun des comités provinciaux, la Section agricole constitua en son sein des commissions spéciales appelées à étudier des questions déterminées. Parmi celles-ci, on peut citer la Commission de l’Economie alimentaire ou la Ligue de Défense contre la Fraude.